Par Emmanuelle Lapointe - 1er août 2015
La Coopérative de solidarité SABSA (services à bas seuil d’accessibilité) pratique concrètement, « pour les gens qui en ont besoin et dans le respect de la dignité de chacun », une hospitalité de tous les jours. L’auteure évoque dans ce texte les valeurs fondatrices de la clinique et la réalité concrète de l’accueil qu’on y pratique.
L’accueil et l’hospitalité sont des prémisses de base faisant partie intégrante de l’environnement de la Coop SABSA. Comment aborder le sujet? L’hospitalité désigne l’action de recevoir autrui chez soi. Comment accueillons-nous les gens qui se présentent à la Coopérative SABSA? Eh bien, comme nous aimerions être accueillis lorsque vient le temps de recevoir des soins pour notre santé: avec simplicité. Une réalité de plus en plus difficile à trouver dans le système de santé institutionnel.
À l’origine de la création de la Coop SABSA se sont rassemblées des personnes croyant fermement que l’énergie déployée doit servir essentiellement à donner des soins aux gens qui en ont besoin, et ce, dans le respect et la dignité de chacun, peu importe son état de santé.
D’ailleurs, pour préciser le contexte, la Coopérative de solidarité SABSA, acronyme signifiant « services à bas seuil d’accessibilité », a été fondée en décembre 2011 par cinq personnes. Les membres fondateurs se sentaient alors interpellés par l’ampleur des épidémies d’hépatite C et de VIH parmi des populations vulnérables (personnes toxicomanes, travailleurs et travailleuses du sexe, personnes incarcérées, etc.). Moins de 10 % des personnes infectées par le virus de l’hépatite C (VHC) sont traitées alors que des traitements efficaces sont disponibles et permettent de freiner l’évolution de ce virus vers des complications plus graves comme la cirrhose ou le cancer du foie. Plusieurs personnes vulnérables à ces infections ont de la difficulté à naviguer dans le système de santé et à s’adapter à son fonctionnement pour différentes raisons (instabilité, absence de papiers d’identité, etc.). Présentement, dans les centres hospitaliers, peu de structures permettent de suivre cette clientèle atteinte de maladies chroniques. Face à cette réalité, des acteurs spécialisés dans le domaine ont décidé d’offrir des services sur mesure pour les personnes vulnérables et de favoriser leur accès aux soins. C’est grâce au travail bénévole des infirmières que cette nouvelle façon de penser la santé est devenue réalité.
Rapidement, les infirmières de la Coop ont pu rendre compte du besoin de soins de santé des gens de la Basse-Ville de Québec et de la difficulté pour plusieurs à y avoir accès. D’ailleurs, depuis l’automne 2014, la Coop SABSA a élargi son champ d’action avec l’arrivée d’un projet-pilote rendu possible grâce à une contribution de la FIQ (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec). Il s’agit d’un projet novateur qui permet d’offrir une clinique de proximité de soins infirmiers pour les résidents des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch de la Ville de Québec. Ainsi, en plus des services s’adressant aux personnes plus vulnérables à l’infection à l’hépatite C, ce projet-pilote permet à la Coop SABSA de servir et de soigner toute la population de ces quartiers, en donnant priorité à ceux et celles qui n’ont pas de médecin de famille. Une infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne est présente à temps plein et peut recevoir des personnes de tous âges. Une recherche-action est réalisée tout au cours du projet par des chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Montréal afin de documenter la démarche et de démontrer l’efficacité de ce modèle.
Nos valeurs
Les valeurs qui sont au cœur de la Coop SABSA impliquent la démocratie participative, c’est-à-dire une adhésion volontaire, l’ouverture à tous, l’engagement dans la réalisation d’un objectif commun, la coopération, la solidarité et le respect. La primauté des personnes fait partie également des valeurs de la Coop. Nous visons un idéal de justice, l’autonomie et la dignité des personnes. Finalement, l’engagement envers la communauté est primordial. Il consiste en un sentiment d’appartenance élevé de la part des membres envers la communauté, qui s’inscrit dans une vision globale de la santé et du bien-être, et qui compte autant la prévention que l’intervention.
Plus concrètement, lorsque les gens se présentent à la Coop SABSA, ils sont accueillis par la réceptionniste. Chaque personne est considérée et respectée, peu importe sa situation. Donc, un accueil humain, chaleureux et sans jugement: les éléments de base pour établir un bon lien. L’accueil favorise chez les patients le sentiment d’appartenance à la Coop. Nous recevons souvent le commentaire que les gens se sentent « comme chez eux » lorsqu’ils viennent à nous. Ce sentiment entraîne un plus grand respect de part et d’autre. Plusieurs personnes qui viennent chercher des services de santé à la Coop ont eu des expériences difficiles dans le réseau institutionnel, ce qui fait qu’elles sont souvent plus réticentes à y retourner, même si c’est nécessaire. En situation de précarité, elles ont souvent frappé à de nombreuses portes auparavant. L’établissement d’un lien de confiance est le point de départ de la relation entre les infirmières et les patients. Les préjugés et le rejet n’y ont pas leur place. Les personnes en contexte de vulnérabilité sont souvent celles qui reçoivent le moins de soins, alors que ce sont elles qui en ont le plus besoin. Les problèmes de toxicomanie, de santé mentale, d’itinérance, de pauvreté sont des réalités à propos desquelles plusieurs professionnels de la santé manquent de connaissances. Cette ignorance engendre de la peur et provoque des situations où le fossé se creuse davantage entre les personnes qui ont besoin de soins et celles qui ont le rôle de soigner. Le malaise est perceptible et interprété comme une autre forme de rejet.
Notre raison d’être
À la Coop SABSA, les infirmières ont une approche globale avec les patients. Elles offrent une prise en charge complète, c’est-à-dire qu’elles s’occupent autant de la santé physique que de la santé mentale. La personne est considérée comme un tout. La stabilité de notre personnel et sa motivation profonde et sincère à travailler auprès de ceux et celles qui vivent un contexte de vulnérabilité facilitent l’établissement de relations significatives. Il devient alors possible de suivre l’évolution des personnes, d’influencer leurs choix afin de favoriser l’adoption de comportements qui amélioreront à long terme leur état de santé. Les recommandations ou les conseils de santé ont plus de chance d’être entendus si un lien de confiance est établi entre le soignant et le soigné. Cette prise en charge vise ultimement à responsabiliser les gens quant à leurs comportements, même s’il faut demeurer réaliste et conscient du point de départ de chacun. C’est la théorie des petits pas.
À la Coop SABSA, tout le personnel est sensibilisé aux différentes réalités que peuvent vivre les personnes qui se présentent (santé mentale, toxicomanie, pauvreté, exclusion sociale, etc.). La relation est humaine, et nous ne demandons pas aux gens de s’adapter aux services: nous tentons plutôt d’adapter nos services aux personnes qui se présentent. Cela ne signifie pas que nous acquiesçons à tous leurs choix de vie, mais pour qu’ait lieu un véritable changement, il faut prendre le temps nécessaire. Nous croyons que le jugement moral n’a pas sa place dans la distribution de soins.
Ce qui est intéressant à observer dans notre salle d’attente, c’est la mixité sociale. En effet, avec le volet clinique de proximité, nous recevons des gens des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch, quartiers centraux de Québec. À petite échelle, nous vivons dans notre salle d’attente la riche diversité sociale du quartier. Au même moment peuvent s’y trouver une jeune maman avec son enfant, une personne immigrante, une personne qui sort de détention, un travailleur et une personne âgée. Ce qui réunit les gens, ce sont leurs besoins de soins de santé. Nous pouvons accueillir environ six personnes à la fois dans notre salle d’attente où règne une ambiance de respect. Cette proximité permet, selon nous, la diminution des préjugés de part et d’autre. Nous croyons qu’ainsi, il nous est possible de rapprocher du système les personnes exclues socialement dans le but ultime d’améliorer leur qualité de vie. L’inclusion de tous rend notre milieu accueillant, inspirant.
Tous les jours, des patients s’expriment et mentionnent les commentaires suivants:
Ici, on se sent écoutés et compris.
Ce n’est pas compliqué d’avoir un rendez-vous et d’avoir de l’information.
Je comprends bien ce que l’infirmière m’explique.
J’espère que votre clinique va pouvoir demeurer longtemps.
Je me sens respectée et je fais confiance à l’infirmière.
Dans le système de santé, on concentre souvent les efforts pour répondre aux exigences d’une structure qui manque de sens et où on oublie l’être humain derrière la maladie. Nous reconnaissons qu’il est nécessaire d’avoir une organisation structurée, des méthodes de travail et d’évaluation, des mesures de rentabilité, des objectifs, mais pour nous, tous ces concepts doivent demeurer des moyens, et non une finalité, le but ultime de l’existence de ces structures étant d’améliorer la santé des citoyens de la société.
L’expérience que nous vivons à la Coopérative de solidarité SABSA nous permet de constater qu’il est possible de faire autrement lorsqu’il y a une sincère volonté. Malgré le fait que l’individualisme soit de plus en plus présent et fort dans notre société, il y a encore de la place pour des actions collectives et solidaires où l’être humain peut être considéré avec dignité et accueilli avec hospitalité.
79, boul. Charest Est, bureau 1
Québec (Québec) G1K 3G4
418 914-9295
Emmanuelle Lapointe : C’est au début des années 2000 que j’ai commencé à travailler auprès des personnes vulnérables aux infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) à titre d’intervenante sociale pour l’organisme Point de repères, situé dans le centre-ville de Québec. J’ai rapidement été sensibilisée aux difficultés vécues par les populations qui vivent dans un contexte de vulnérabilité (toxicomanie, itinérance, pauvreté, etc.) et à leur réalité. J’ai eu l’occasion, par la suite, de mettre à profit les connaissances acquises dans ce milieu pendant mon passage au sein de l’organisme Toxic-Actions dans la région du Saguenay–Lac-St-Jean. Lorsque j’étais à la direction de cet organisme, il m’a été possible de développer des projets novateurs en lien avec la prévention des toxicomanies et des ITSS. Ces expériences m’ont permis de cerner les différentes réalités vécues en milieu urbain et en région par les personnes en contexte de vulnérabilité. Depuis le printemps dernier, j’ai eu la chance d’intégrer l’équipe de la Coopérative de solidarité SABSA où se retrouvent des personnes qui ont le désir de travailler dans le même sens, avec une volonté de faire autrement.
Nous sommes heureux de souligner qu’un membre de l’équipe de SABSA, madame Isabelle Têtu, infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne, a reçu au printemps 2015 un prix Florence dans la catégorie « Prévention de la maladie », remis par l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.
Prix Florence
Parce que leur contribution a une incidence majeure sur toute la société, les infirmières et infirmiers du Québec sont une source d'inspiration pour chacun de nous au quotidien. C'est justement pour souligner des actions qui peuvent servir de modèle à tous ses membres que l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a créé les huit prix Florence. Ces récompenses s'ajoutent au prix de l'Insigne du mérite déjà instauré pour signaler l'apport remarquable d'un membre au développement de la profession. [En ligne] Prix Florence 2015, OIIQ, (consulté le 18 juin 2015).